Marion Chatel-Chaix a travaillé en tant que styliste pendant treize ans. En parallèle, elle a developpé un fort intérêt pour le monde culinaire et se fascine pour les associations de matières, de textures et de saveurs. En 2013, elle se forme à l’ESAD (Ecole Supérieure d’Art et de Design) de Reims pour une année de recherche en design culinaire avec comme intervenant plusieurs pionniers du domaine, tels que Marc Bretillot. Marion bascule petit à petit vers ce nouveau métier, tout en jonglant avec des projets dans la mode. Une année chargée mais riche en apprentissage pour devenir Designer Culinaire à temps plein !
Pouvez-vous me donner votre définition du « Design Culinaire » ?
Pendant longtemps, j’expliquais que le design culinaire était de faire en sorte que manger devienne une expérience avec un contexte et un sens autour de celle-ci. Maintenant je me positionne comme un designer travaillant autour de l’assiette. J’interviens sur tous les à-côtés (packaging, carte, art de la table, lumière, musique), mais surtout pas sur ce qu’il se passe dans l’assiette, pour ne pas empiéter sur le travail du chef avec qui je collabore. J’ai choisi de ne pas passer par une formation en cuisine pour rester complémentaire et garder mon approche de designer. Chaque projet se réfléchit au cas par cas, car il est possible de tirer sur des ficelles différentes à chaque fois. Manger ne suffit plus, il faut donc créer tout un environnement pour renforcer l’expérience culinaire.
Comment est né le Studio Exquisite ?
Après mon année de recherche en design culinaire à Reims en 2013, nous avons monté le studio Exquisite à deux. Nous nous sommes testées sur pas mal de choses car le design culinaire est un nouveau métier, et je pense qu’à ce moment, même nous, nous cherchions notre voie dans ce domaine. Nous avons fait de événementielle,nous avons voulu monter un laboratoire de recherche de matières culinaires pour inspirer les chefs. et nous avions pour ambition de lancer le premier magazine de design culinaire, et je pense que c’est ce qui nous a fait imploser en vol, car cela demandait beaucoup de temps et d’investissement pour peu de retour financier. Le but était de donner de la visibilité à ce métier encore moins connu qu'aujourd'hui à l'époque, en 2015 (rires).
J'ai continué ma pratique avec le studio et la marque Exquisite et je me suis recentrée sur le côté cahiers plus que magazine, c'est à dire BtoB et non BtoC. Je voulais vraiment, réfléchir à des concepts, donner du sens et proposer des outils aux chefs pour les inspirer. Ces cahiers d'inspirations sont un transfert de compétences de la mode au monde culinaire, car dans ce milieu c’est très courant de travailler avec des cahiers de tendances pour créer des collections. J’ai donc voulu l’adapter pour les chefs. Mes cahiers sont plus portés sur l'inspiration que sur la tendance, pour que les chefs puissent y jeter un œil entre deux coups de feu, et se nourrir l’esprit. L’idée est d’avoir des clés en main permettant de gagner du temps sur la réflexion, d'associer les images pour accompagner le processus créatif. Une autre des activités du studio est le conseil. Les cahiers sont une bonne introduction à ce que je peux apporter. Au fil des discussions la demande se précise et nous voyons ensemble sur quel problématique je peux intervenir plus précisément en sur-mesure.
En plus de ce studio, vous avez également lancé des podcast « chefs d’oeuvre », pouvez-vous nous en dire plus ?
Les podcasts ne sont pas directement orientés vers le design culinaire, ils sont plus tournés vers la création dans la gastronomie. J’interroge les chefs sur leurs manières de gérer la créativité, car ils sont tous autodidactes sur ce sujet. Contrairement aux designers ou artistes, ils n’ont pas reçu de formation là-dessus et n’ont donc pas une méthodologie dédiée à la création. Ils ont leur propre chemin de réflexion et je voulais mettre ça en avant.
Quel conseil donneriez-vous aux personnes qui comme vous, veulent se lancer dans le design culinaire ?
Il faut être persévérant, très travailleur et motivé. J'encourage les nombreux jeunes qui s'interrogent sur le design culinaire à garder une pratique généraliste du design, avec un intérêt sur des projets ou des sujets culinaires afin de rester polyvalents dans leur pratique. Il y a de plus en plus de formations au design culinaire ce qui est positif en terme de communication, pour faire bouger les lignes sur un marché complexe. Plus nous serons à parler de cette spécialitée, plus elle sera comprise. Le design culinaire intéresse de plus en plus mais reste encore une niche du design. Il faut être passionné et ne pas compter son temps pour exercer ce métier que personne ne comprend. Il faut toujours expliquer ce que l’on fait, dire que l’on est pas là pour dessiner des casseroles ou se limiter à la question des dressages (rires). C’est un métier tout neuf qui inclut pas mal de pédagogie à faire, même auprès des professionnels du secteur.
Qu’attendez vous comme évolutions autour de ce métier si nouveau ?
Je n’ai pas vraiment d’attentes concernant le métier, mais plus envers les gens du secteur culinaire, sur la compréhension de la valeur ajoutée du designer et des chefs. Je pense qu’il y a un très grand nombre d’aspects qui nécessiteraient l’intervention d’un designer culinaire, il faut que les chefs acceptent qu’ils puissent avoir besoin d’aide. Dans la mode, ce n’était pas que Karl Lagerfeld qui créait tout de A à Z sur une collection. Il s’entourait d’une équipe qui avait chacun une spécialité, l’un va penser les chaussures, l’autre les accessoires à placer dans les cheveux… Et ensemble ils créaient la collection et participaient à l’expérience, globale, totale et cohérente. Un designer a sa place pour faire le lien entre la cuisine et la salle. On l’associe beaucoup en cuisine au dressage car on pense qu’il s’agit avant tout d’esthétisme, mais il y a beaucoup à faire autour du plat, et en salle également.
Partons du côté de Paris. Quels sont les lieux qui vous inspirent dans la capitale ?
Je fais évidemment beaucoup d’expositions, et je passe aussi beaucoup de temps dans les librairies d’art et de design d'où je ne ressort jamais les mains vides ! (rires). Je dis toujours que je fonctionne comme une éponge, j’absorbe un tas d’informations, de références, mais elles peuvent ressortir sous forme d’idées plusieurs années après selon le contexte ou le projet.
Pouvez-vous me raconter quelques expériences culinaires marquantes ?
Je me souviens du vacherin du Chef Maxime Frédéric au George V
(Paris 8), qui était un dessert impressionnant de par la minutie et l'exigence de son dressage et ses saveurs, mais aussi car je l’ai mangé sur un coin du marbre dans les cuisines. C’était hors contexte de la salle du palace et ça a contribué à rendre l’expérience marquante.
Je trouve également très intéressant de voir comment François Daubinet arrive à faire bouger les lignes de la pâtisserie d'une grande maison - Fauchon -, avec toutes les contraintes qu'elle implique à priori, en production et en marketing. Comme quoi, rien n'est impossible : mettre des légumes dans les pâtisseries, développer une gamme cohérente qui colle à sa personnalité, ou encore imaginer et développer des produits fous comme sa bûche de Noël Incandescence en 2019 qui était vraiment un superbe concept.
Dans quels domaines voudriez-vous que le design culinaire soit plus présent ?
Selon moi, le designer culinaire a sa place au sein des concours aux côtés des chefs, comme les Bocuse d’Or par exemple. Je fais partie de l’équipe de France du Bocuse d'Or autour de Davy Tissot. Sur l'étape de la sélection France, nous avons pensé différemment ses menus papiers pour accompagner et prolonger l'histoire ses plats. Les résultats ont été extrêmement serrés. C’est là que l’on voit qu’il y a un bénéfice à inclure un designer à son équipe. Ce serait bien aussi de voir le design culinaire dans les émissions de TV telles que Top Chef pour le démocratiser. Dans cette saison on a eu un petit aperçu grâce à une des épreuves avec le chef 2 étoiles Gaggan Anand et le chef 3 étoiles David Muñoz, pour revisiter la manière de déguster un plat. Les candidats étaient un peu déboussolés au début car il faut réfléchir autrement, et c’est une des choses que le design culinaire peut apporter à la cuisine traditionnelle.
Une dernière question folle pour conclure l’interview : si vous deviez changer de vie avec une personne pendant 24h, qui choisiriez-vous ?
Je dirais Paul Pairet. Maintenant tout le monde le connaît en France grâce à Top Chef, mais sa vision de la cuisine me fascine depuis bien longtemps et j'aimerais beaucoup voir comment il travaille de plus près. Malgré le fait qu'il soit Français il a réussi à s'émanciper totalement du modèle de restaurant et du chef traditionnels pour proposer des expériences totales, qui impliquent tous les sens dans son restaurant de Shanghaï. J'aimerai savoir ce qu’il se passe dans sa tête en direct.
Il aurait pu être un de mes premiers invités sur le podcast entre deux aller-retours en France pour les tournages de Top Chef... mais avec le COVID qui avait commencé en Chine avant chez nous ça a été compliqué. Je ne désespère pas de l'avoir sur la saison 2 !
J'ai encore tellement de grands noms que je rêve d'interviewer ! La saison 2 sera aussi orientée sur une mise en avant de talents plus "émergeants" mais dont le travail créatif est tout aussi remarquable.
Retrouvez l’univers de Marion Chatel-Chaix sur son site : studio-exquisite.com
Pour écouter les podcasts « Chefs d’Oeuvre », rendez-vous sur le site : chefs-oeuvre.com
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